(ansel), my oceans are all pitch-black

Les minutes s’égrainent, défilent, et toujours rien. Jaimie, il est ponctuel, il est tatillon. La cravate toujours droite, la barbe bien taillée, les cheveux bien coiffés, les vêtements toujours repassés et fraîchement sortis du pressing. Mais justement, aujourd’hui – ses vêtements n’arrivent pas. Et il se tient là, dans son salon,  dans son bermuda de pyjama, un tee shirt sur le dos, dans une colère noire. Et il sait bien, au fond, que c’est déraisonnable. Déjà, il devrait aller chercher ses affaires lui-mêmes, pas envoyer son assistant les chercher aussi tôt le matin. Mais il pouvait pas s’en empêcher – Ansel était si serviable, si compliant. Jaimie, on lui avait toujours tenu tête – et il ne pouvait pas retenir le plaisir pervers que ça faisait d’avoir quelqu’un qui lui obéissait pour la moindre connerie. Il en abusait clairement, c’était impossible à nier. Lui-même le savait, il serait même prêt à l’admettre si Ansel le lui demandait. Mais jamais. Le jeune homme gardait le silence, acceptait toutes les requêtes, des meilleures aux pires. Il venait toujours, au pas de course, et posait ce regard sur lui qui lui donnait des frissons.
Jaimie n’était pas dupe, il voyait bien les regards que lui jetaient certaines personnes. Il n’était pas étranger au désir qu’il pouvait susciter. Parfois, même, il se plaisait à en jouer, passait la nuit dans les bras d’un ou d’une inconnue, et disparaissait dans la matinée sans se retourner. Il était sentimentalement aussi frivole qu’il pouvait être ambitieux au travail. Et peut-être, finalement, essayait-il d’oublier dans les bras d’autres âmes aussi paumées que la sienne.
Ansel, il était différent. En tous points. Il avait l’âme douce, l’âme encore un peu naive, les yeux pas encore totalement teintés. Et Jaimie, il se sentirait presque coupable de pervertir tout ça – sauf qu’il peut pas s’en empêcher. Il pourrait être plus gentil, moins difficile à vivre – il ne l’est au final qu’avec lui. Mais il peut pas s’en empêcher – leur dynamique a un sens d’interdit et de mauvais qui est satisfaisant dans une vie bien rangée comme la sienne.

Quatre coups frénétiques retentissent à la porte, des frottements paniqués sur la porte. Et Jaimie sourit, un peu amusé – il n’a que 15min de retard, rien de bien grave. Et pourtant, quand la porte s’entrouvre et laisse paraître la figure essoufflée d’Ansel, le sourire amusé qu’il a bien caché derrière le visage de pierre qu’il réserve à son employé est un lointain souvenir. Il le fixe, sourcil arqué, appuyé contre la chambranle, le regard dur, l’atmosphère aussi froide qu’une brise d’hiver.

« T’as vu l’heure ? »

Il est injuste. Il le sait. Mais au fond, il lui est reconnaissant, à Ansel.

Codage par Magma.

Ansel, le gamin qui n'en était plus un. Il se rappelait tous les jours, la chance qu'il avait d'avoir une vie normale désormais. Il avait eu peur de tellment de choses, comme finir comme son père biologique. Être rejeté de tous. Devenir la honte des McGraw comme la plupart semblait le penser. Et ça le travaillait énormément, Ansel. Un peu trop même. Il s'accrochait à son boulot, disant oui à n'importe quoi par peur qu'on décide de se séparer de lui. Il s'accrochait à ses sentiments, qu'il arrivait de moins en moins à cacher envers son patron. Situation cocasse, digne des films à l'eau de rose. Et que lui restait-il , à lui? Ansel ne le savait pas. Un peu trop perturbé par son passé qui pouvait lui retomber à la figure à tout bout de champs, s'il perdait son peu de volonté à ne pas replonger. Aujourd'hui, il avait sa chaîne youtube qui l'empêchait de penser à ce qui pouvait le faire replonger. La drogue. Il se droguait à l'époque et il avait toujours cru qu'il finirait junkie comme son père parce que c'était génétique. A ce même moment, il avait pensé qu'il ne faisait pas parti des McGraw. Il pensait un peu trop au plus négatif  et ça ne l'aidait pas à s'en sortir. Aujourd'hui, il faisait de son mieux.

Comme maintenant, d'ailleurs. Il était en retard, parce qu'il y avait du monde sur les routes et que le taxi qu'il avait pris pour aller plus vite , avait provoqué le contraire de l'effet attendu. Il finit par arriver chez son patron. Il s'était dépêché tout en râlant contre le taxi qui l'avait mis en retard. Il avait fini par frapper à la porte et il attendait en reprenant son souffle. Il n'était pas aussi sportif que ça. La porte s'ouvrit et malgré l'ambiance glaciale qui se faisait ressentir, Ansel se prit à admirer une nouvelle fois son boss. Il restait ce gamin naïf et rêveur, qui s'imaginait plein de choses, cette fois-ci, un peu plus positives. "Désolé, c'est à cause du taxi..." Attitude penaude, comme un môme pris en flagrant délit.

Codage par Magma.

Derrière ses airs de râleur, derrière ses grands sourires de chieur, il avait peur, Jaimie. Il avait renoncé à la romance, à aimer, depuis maintenant deux années. La mort de Mira l’avait chamboulé, ruiné – tout ce qu’il avait pu croire dans sa vie semblait soudain s’être envolé. Elle était partie trop vite, trop tôt. Et ç’avait été injuste. Jaimie, il en avait voulu au monde, il avait crié sa rage aux systèmes hospitaliers, comme si ça allait changer quoi que ce soit. Puis il avait accepté – ou plutôt, il s’était résigné. Mira Fitzwilliams n’était plus – et le cancer, une fois encore, avait gagné sur une âme. La compagnie d’assurance, c’est elle qui l’avait poussé à la créer – il n’avait pas le cran de maintenant, à l’époque. Elle l’avait aidé à remplir les papiers, faire les demandes. Elle avait regardé les chiffres d’affaire décoller, et finalement, Jaimie allait la faire associée. Mais ce n’était plus possible, maintenant.
La colère régnait maintenant dans chaque aspect de sa vie – il était tout le temps en rage, empli d’agacement. Un agacement qu’il avait tendance à passer sur son assistant personnel, Ansel, qu’il avait dû engager à la mort de Mira. Il ne s’en sortait pas seul, et il avait eu du mal à avaler la pilule. Pourtant, le jeune homme était l’un des plus serviables qu’il avait jamais rencontré – il faisait tout sans broncher, sans râler, sans rien dire. Il demandait même pas d’augmentation, c’était le comble. Et peut-être qu’au fond, Jaimie avait un plaisir sadique à pousser les limites de son assistant. Il avait jamais dit qu’il n’était pas un salaud, après tout. Jaimie il avait de l’argent, il était même devenu riche comme pas permis. Il plaisait, il avait de bons amis, un adorable chien. Pourtant, il se sentait vide – et il ne savait plus comment remplir le trou béant qui semblait s’être formé dans sa vie.
Il avait pas manqué les regards que Ansel et lui se lançaient – désir, luxure, une pincée d’autre chose, aussi. Mais Jaimie ne pouvait pas se le permettre – pas avec son assistant, et surtout pas avec cet assistant. Il ne comptait pas pervertir une autre âme comme il avait pu pourrir la sienne dans des addictions stupides. Au fond, il se souciait de la vie du jeune assistant – même s’il ne l’aidait pas particulièrement non plus. « La prochaine fois, dis-le moi si je dois te payer un uber. » l’humour y est, mais ça ne s’entend pas dans le ton. Toutefois, il se pousse et lui indique de la tête d’entrer. Le pauvre garçon est tout essoufflé. « Je vais aller me changer, même si quinze minutes en retard » il jette un regard glacial à Ansel, avant de s’adoucir. « Sers toi un café. La machine est là-bas. Je peux savoir tu venais d’où pour avoir un trafic pareil par contre ? Je refuse que ça arrive un jour de réunion. »

Codage par Magma.