( 001. ) T'es arrivée un peu trop vite dans la vie de tes parents. Ta mère était enceinte quelques semaines avant leur mariage et elle a failli en faire une syncope ! Ils ont un peu magouillé en racontant que t'étais prématurée, mais c'est pas l'cas, Izia. Il faut dire qu'ils sont assez vieux-jeu et pour ta mère, c'était juste pas possible d'avouer qu'elle était enceinte alors qu'elle portait la sublime robe blanche, qu'elle tenait de sa propre mère. Même toi, t'es pas vraiment au courant de cette histoire, t'as cru entendre des bribes de conversation entre tes parents, une fois, quand t'étais ado, mais quand t'es venue sur le sujet, ils t'ont gentiment recalée.
( 002. ) Fille aînée de la fratrie Gotayah, t'as eu ton premier cadet quand tu savais déjà parler. Et tes parents t'ont assez vite mise à contribution, tu surveillais le nouveau bébé, t'aidais Maman dans ses tâches à la maison. T'as été élevée pour devenir une femme parfaite. Selon les standards des années 50. Et si étant plus jeune, cela ne te semblait pas vraiment être un problème, en grandissant, les choses ont un peu changé.
( 003. ) T'aimerais pouvoir dire que t'as connu une crise d'adolescence retenticente, mais on t'en a pas laissé le loisir. T'avais trop de responsabilités à la maison. T'occuper des plus petits, gérer la maison, étudier pour le lycée, te donner à fond dans tes activités extra-scolaire. T'accumulais les casquettes, en galérant à maintenir des notes acceptables. Comprenez par là, dans le top 10 de la classe. Parce que si la minipouce de la famille était un petit génie, c'était pas ton cas.
( 004. ) La première fois que t'as défié l'autorité parentale, c'est quand t'as arrêté les cours de kung-fu. Ouais, gros cliché, mais tu pensais faire plaisir à ta père en choisissant cette discipline. La vérité ? Il était pas plus intéressé que ça par ce que tu lui racontais. Alors petit à petit, t'as arrêté de lui en parler. Jusqu'à tout simplement arrêter d'y aller. Mais ça, tu t'es bien gardée de le lui dire. Et l'argent qui servait à te payer les cours, tu t'en es servi pour t'inscrire à un cours de kick boxing. Un truc que tes parents n'auraient jamais accepté. Et tu t'es sentie libre pour la première fois de ta vie !
( 005. ) L'exaltation d'avoir une partie de ta vie secrète t'es rapidement monté à la tête. Et t'as jamais arrêté de faire des choix que tu dissimulais à ta famille. Tous ces choix que tu savais qu'ils n'approuveraient pas, tu les as faits dans leur dos. Gardant ainsi ton image de fille parfaite complètement intacte. Mais avec le temps, cette manière de faire est devenue une mauvaise manie, dont tu ne peux plus te défaire. Trop protectrice de ta vie privée, t'en es même parfois venue à cacher des choses à tes amis.
( 006. ) T'avais dix-sept ans quand t'as perdu ta virginité. C'est cette même année qu'une sex tape de toi et ce joueur de l'équipe de foot a leaké. Non pardon, pas leaké, il l'a montrée à ses potes, puis ses potes à leurs potes et c'en était fini de ta précieuse réputation. Tes parents n'ont jamais été au courant, dieu merci ! Mais t'en as bavé des mois durant. A garder la tête haute, refusant qu'ils puissent voir à quel point t'étais humiliée, à quel point ils te faisaient mal avec leurs regards, leurs remarques. Et comme tout au lycée, une nouvelle histoire est venue voler la vedette à la tienne. Même si ta réputation n'a jamais plus été la même après ça.
( 007. ) Alors partir loin de Baltimore pour tes études universitaires fut une sorte de libération pour toi. Personne ne te connaissait, personne ne te donnait de surnoms dégradants. T'étais juste toi, une petite étudiante parmi tant d'autres. Si tu t'es tournée vers des études liées à l'informatique, c'est parce que tu voulais être capable de créer des outils pour protéger les jeunes sur internet.
Et c'est là la première cause à laquelle tu t'es intéressée. S'en est suivi tant d'autres. Sensibilisée aux questions sur le climat, sur l'égalité homme/femme, sur les causes LGBTQIA+, et tant d'autres, t'as commencé à protester, puis à t'engager plus activement dans des organisations comme bénévole.
( 008. ) Ton diplôme en poche, t'es revenue ici. Tu t'es trouvé un stage dans une start up, qui commençait à se faire un petit nom dans son domaine. Et t'as fait assez bonne impression pour qu'ils t'engagent. Tu fais aujourd'hui partie du noyau dur de celle-ci, même si ça fait pas si longtemps que t'es là. Tes parents sont plutôt mitigés quant à ton choix de carrière, pourtant ils ont cette pointe de fierté quand ils disent à leurs amis que c'est toi qui a créé l'app qu'ils sont en train d'utiliser.
( 009. ) Il s'appelait Saad, il bossait à l'étage inférieur dans le building, où tu travailles. Jeune entrepreneur, des idées plein la tête, à lancer sa boîte de voyages surprises avec une petite équipe. Il arrivait à la même heure que toi au bureau, vous partagiez tous les matins le même ascenseur. Dans un silence presque assourdissant, tant tu étais absorbée par l'écran de ton téléphone. Jusqu'à ce fameux matin où il t'as adressé la parole, pour te dire qu'il trouvait dommage de faire en sorte de prendre le même ascenseur que toi tous les jours, pour qu'au final tu ne le regardes jamais. Tu l'as dévisagé, il est sorti à son étage et le lendemain il était à l'heure pour votre petit bout de chemin vertical ensemble. Vous avez commencé à discuter. Et puis t'es tombée sous le charme à ton tour. Et comme tant d'autres choses dans ta vie, Saad est devenu ton petit secret. D'origine pakistanaise, musulman qui plus est, il ne correspondait pas aux critères parentaux pour être un assez bon parti pour toi.
( 010. ) (tw : cancer/mort) Vous étiez ensemble depuis quelques mois, lorsque Saad est tombé malade. Ou plutôt est-il retombé malade. Une rechute de la leucémie dont il était en rémission depuis sa préadolescence. Cette fois le cancer était plus agressif encore, et tu as passé près d'un an à ses cotés, dans les bonnes comme les moins bonnes phases. A lui tenir la main, lorsque la chimio l'empêchait de se lever, lorsqu'on lui annonçait que le cancer avait gagné du terrain, lorsqu'on lui a dit qu'il ne lui restait que quelques mois. T'es restée là jusqu'à la fin, sans jamais rien en dire à ta famille. Tu l'aimais et ses derniers mois de vie furent remplis de rires et d'amour un peu grâce à toi.
( 011. ) L'organisation activiste pour laquelle tu bosses aujourd'hui, tu l'as rejointe quelques semaine après la perte de Saad. Parce que tu ne voulais plus jamais te sentir impuissante face à quoi que ce soit. Alors militer avec tes jolies pancartes ne te suffisait plus, il te fallait quelque chose de plus grand, de plus frontal. Tu t'es investie là-dedans pour t'occuper, pour t'accrocher à quelque chose, et sûrement que sans ça, tu ne t'en serais pas tirée.
( en vrac )# tu es bilingue anglais et mandarin, sinon tu te débrouilles pas trop mal en cantonais et tu baragouines un peu de français également
# tu as ton permis voiture depuis tes 16 ans, mais tu détestes en conduire. tu es même particulièrement catastrophique derrière un volant. c'est pour ça que tu as passé ton permis moto, et tu ne te déplaces presque que sur ta kawasaki klx230 quand tu ne prends pas les transports en commun
# en été, il t'arrive aussi de te déplacer en skate, bien moins polluant
# la musique h24 dans tes oreilles pour mieux pouvoir te concentrer, souvent la même chanson en boucle pendant des heures
# le nez toujours planté sur ton téléphone,
"c'est pour l'boulot" que tu répètes sans cesse, mais on y croit moyen
# tes plantes vertes, t'y tiens comme à la prunelle de tes yeux, ton studio ressemble à une jungle, et t'as donné un p'tit nom à tout ce petit monde
# depuis quelque temps, tu te perds dans les histoires sans lendemain, à éplucher tous les jours les profils tinder, pour trouver le prochain type dont t'oublieras le nom aussitôt ta jupe renfilée
# tu dois porter des lunettes quand tu restes trop longtemps plantée devant un écran, autant dire tout le temps, mais te joues les mauvaises élèves et les mets que rarement
# ça t'es déjà arrivé de participer à des combats illégaux, un peu pour l'argent, beaucoup pour la décharge d'adrénaline
# t'aimes beaucoup trop être un mystère ambulant aux yeux des autres, les voir se tromper sur toute la ligne sur ton compte, c'est presque jouissif pour toi
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